Le yoga sutra de Patanjali est fondateur du yoga, c’est un recueil de 195 sutras comparables à des sortes de vers ou d’aphorismes, des phrases brèves.
Le yoga sutra de Patanjali est fondateur du yoga, c’est un recueil de 195 sutras comparables à des sortes de vers ou d’aphorismes, des phrases brèves.
L’origine du yoga sutra se perd dans la nuit des temps. On estime qu’il date entre -200 et -500 avant Jésus Christ. Cet ouvrage codifie une pratique traditionnelle du yoga d’une très grande ancienneté. On ne sait pas si Patanjali a existé en tant que personne ou s’il représente un courant de pensée.
« Le mot sutra en sanskrit, désigne le fil du collier, et par extension le fil conducteur d’un raisonnement, d’un exposé. Il évoque aussi les perles du collier, et désigne alors les 195 aphorismes qui constituent le traité ».
Ces sutras sont en fait des têtes de chapitres, des sortes d’aide-mémoire, destinées à être apprises par cœur et expliquées par le maître. Les 195 aphorismes sont répartis en quatre chapitres, les padas.
Les sutras utilisent souvent l’aporie qui est une forme de contradiction insurmontable par le raisonnement. « L’aporie permet l’abandon à Dieu, dont Patanjali parle en maints endroits de son recueil et qui demeure l’étape capitale de toute démarche spirituelle. »
Scandés et chantés, les Sutras parvenus jusqu’à nous
Leur traduction pose souci car les textes ne sont pas fondateurs de leur signification. Les textes fondateurs comme les sutras ont d’abord une valeur sonore, ils sont appris par coeur pour être dits. Les textes sanskrits ont une valeur pragmatique car ils ont un effet physiologique. Ce qui est fondateur, c’est le son et les brahmanes qui vont participer de leur diffusion le connaissent d’abord par le son.
Ce sont donc des vers récités, chantés par le yogin. On est en quelque sorte dans une culture phono-centrée, on est dans une expérience sonore qui produit des effets sur le corps. Les yoga sutras s’apprenaient ainsi à l’origine. C’est ainsi que, scandés et chantés, les sutras sont parvenus jusqu’à nous. Le son doit être déposé à l’intérieur pour disposer le corps à un niveau plus objectif qui permet d’atteindre la signification du texte. On ne peut donc pas traduire les sons mais les significations. On visualise à l’intérieur du mental ce qui était signifiant, ensuite le corps suit, c’est là que vient l’asana, la posture. Dans le yoga -Paris contemporain, on a tendance à être très éloigné de cette dimension et à croire qu’il suffit d’enchainer les postures pour atteindre des situations de pleine conscience et de bien être. On s’est finalement beaucoup écarté des principes fondateurs même s’ils restent la matrice de toute pratique du yoga.
La finalité profonde du yoga
Quelle est la finalité profonde du yoga ? Dans le yoga sutra de Patanjali, il s’agit alors de mettre fin à la souffrance. Ce n’est pas la souffrance psychologique mais le manque à être, cette condition générale que vivaient ces hommes qui les premiers ont envisagé les premiers jalons de ce qui deviendrait le yoga.
Il s’élabore sur le principe d’un refus du monde. Soyons plus précis. Le yoga est un « suicide du corps » puisqu’il est question de mettre un terme à l’expérience du corps humain au profit de l’âme ou du moins d’une entité spirituelle. Le corps étant la cause de tous les maux, ils voulaient mettre un terme au corps, à cette expérience humaine. Le suicide du corps devant se comprendre comme l’assomption de l’âme. On ne se suicide surtout pas car on se réincarne dans la transmigration de l’âme, or il ne s’agit pas de se réincarner mais de n’être que ce que l’on est.
On comprend bien là que c’est un yoga d’érudits. Mais il a fini par échapper aux érudits. Les textes sanskrit n’avaient pas de public et c’est les brahmanes qui vont leur donner une nouvelle résonance.
Les brahmanes étaient des hommes de la parole quand le yoga des gens du sanskrit empruntait la voie du silence. Les brahmanes disaient oui au monde par la parole, ils ont mis la main sur le yoga et ont permis la transmission des enseignements sur le chemin d’un yoga contemporain tout en préservant son fondement : Délivrer l’âme de son existence terrestre. Parvenir au samadhi ce stade ou nous ne faisons plus qu’un avec l’univers.
Il est dit dans la Yogatattva Upanishad, une des upanishad non védiques qui sont des textes de tradition non révélés :
«Les âmes individuelles sont prisonnières des heurts et des malheurs qui les affectent en ce monde, pour les délivrer du pouvoir de l’illusion il faut leur donner la connaissance du brahmane, grâce à quoi l’individu n’est plus affecté par la maladie, ni par la vieillesse, ni par la mort et ne risque plus de renaitre. Cette connaissance est difficile à acquérir mais elle est le bateau qui permet de franchir le fleuve des renaissances. L’âme individuelle qui dans chaque être est captive du monde, retrouve sa vraie nature d’Atman lorsqu’elle est libérée des entraves que sont le désir, la colère, la peur, l’orgueil, l’égarement, la concupiscence, la passion, le fait de naitre et de mourir, la faim, la soif et la misère, la paresse, la crainte, l’horreur. »
Le yoga est un des six darshana ou «points de vue» classiques de l’hindouisme susceptibles de mener l’être humain à sa pleine réalisation. Le yoga-darshana présente l’enseignement codifié par Patanjali dans les Yoga-Sutra. Ces aphorismes font aujourd’hui autorité dans toutes les écoles de yoga -Paris ; il a reçu tardivement le nom de «raja–yoga», ou yoga royal, par rapport au «hatha-yoga» qui constituerait une voie d’accès préléminaire.
Les sutras en 4 chapitres
En 195 sutras, ou petits versets, Patanjali décrit le fonctionnement du mental, et indique différentes manières d’appréhender le yoga, et de l’intégrer dans notre vie. Ces 195 sutras issus du sanskrit se prêtent à de nombreuses interprétations et ouvrent de nombreuses voies d’exploration personnelle. Il reste primordial cependant de ne pas oublier que leur traduction ne révèle pas le son qui les constitue originellement dans une approche phono-centrée. Ne pas oublier que le sanskrit impose aussi des traductions souvent complexes. Les textes des yoga-sutras sont d’ailleurs souvent accompagnés de gloses et commentaires d’auteurs postérieurs à Patanjali : Vyäsa (entre 600 et 800 ap. J.-C.), Vacaspati Misra (Xe siècle), Bhoja (fin du XIe siècle). Les colonisateurs britanniques traduisent ces anciennes éditions dès le XIXe siècle.
Ils sont donc répartis en 4 chapitres (pada) exposant les huit membres (anga) du yoga. Nous ne pouvons bien évidemment pas ici reprendre les 195 sutras mais nous vous proposons quelques uns d’entre eux pour illustrer ce que peuvent contenir ces padas.
1. Samadhi Pada
Samadhi Pada (La contemplation ) définit le yoga, la pratique, les problèmes que nous pouvons rencontrer et leurs solutions, ce chapitre indique l’objectif et la voie. Le premier s’adresse donc à une personne à la pensée active qui recherche une solution à l’agitation mentale.
Il comporte 51 sutras. « Maintenant (Atha) , le Yoga va nous être enseigné, dans la continuité d’une transmission sans interruption » (S I.1). « Le Yoga est l’arrêt (nirodha) de l’activité automatique du mental (chitta vritti) » (S I.2). « Alors se révèle notre Centre (drashtar), établi en lui-même » (S I.3)
En nous libérant des automatismes, et notamment des automatismes du mental, le Yoga nous permet de développer notre capacité d’observation, de spectateur de notre corps et de notre mental et de laisser par là se manifester, se révéler le Témoin immobile et permanent (appelé Drashtar par Patanjali) qui est en chacun des être humains et qui nous fait participer à l’énergie cosmique.
2. Sadhana Pada
Sadhana Pada explique comment développer l’attention, en opposition à l’état de distraction dans lequel nous vivons, c’est la voie de l’action. Le deuxième concerne la personne d’action qui connaît la souffrance et veut s’en sortir. Il comporte 55 sutras et décrit deux formes de yoga le kriya yoga (yoga des techniques) et le astanga yoga, le yoga à huit branches dont les quatre premières correspondent au haha yoga.
La finalité du yoga étant le Samadhi, cet état déconditionné, dans lequel, enfin libre des automatismes de comportement et de pensée, on peut faire un avec la vie, Patanjali, nous parle, dans ce deuxième chapitre, des moyens ou de la stratégie (Sadhana = stratégie) à mettre en œuvre pour créer les conditions favorables à ce processus de transformation.
« Le Yoga de l’action (autre traduction : l’accomplissement du yoga) se pratique selon trois modalités inséparables : un effort soutenu, la conscience intérieure de soi et l’abandon au Seigneur » (S II.1)
« Kriya Yoga (L’accomplissement du yoga) a pour but d’atténuer les causes de souffrance (klésha) et de permettre le Samadhi (intégration complète avec l’objet de la méditation) » (S II.2). « Quand les causes de la souffrance sont légères, on peut les éliminer en les prenant à contre-courant ». (S II.10)
Dans le deuxième chapitre Patanjali décrit deux formes de yoga : kriyā yoga (yoga des techniques) et ashtanga yoga, le yoga à huit branches dont les quatre premières correspondent au hatha yoga.
3. Vibhuti Pada
Vibhuti Pada nous guide vers la pratique combinée de la concentration et la contemplation pour atteindre un état d’unité et développer une attention de plus en plus profonde. Il décrit les « manifestations » de puissance et d’énergie, d’autres niveaux de conscience, comme résultat de l’action juste. Le troisième s’adresse à une personne qui obtient des résultats particuliers grâce à la méditation.
Il comporte 55 sutra.
« Dharana est la relation d’attention du mental à un secteur déterminé » (S III.1). « Dhyana est le fait de maintenir une attention exclusive sur un seul point » (S III.2).
4. Kaivalya Pada
Kaivalya Pada, le dernier chapitre, révèle l’objectif du Yoga : maîtriser l’esprit, développer une perception claire et se libérer de tout attachement. Il reprend en fait les thèmes déjà exposés pour les approfondir (« Le Pas vers l’indépendance absolue »). Le quatrième, parle ainsi à celui qui est sur le chemin de l’accomplissement, en voie de vivre un état de grande liberté. Il comporte 34 sutra.
« Les pouvoirs sont innés, ou engendrés par l’utilisation des plantes, de mantras, ou par la pratique du Yoga et du Samadhi » (S IV.1)
« La renaissance dans une forme d’existence différente est une modification due à l’exubérance des forces de la Nature » (S IV.2)
Devenir fondamentalement divin pour une joie parfaite
Les aphorismes ou sutras de Patanjali, sont le fruit de l’expérience directe et non un amoncellement de spéculations intellectuelles ; c’est pourquoi la philosophie de Patanjali demeure pratique. La réalisation spirituelle constitue l’objet des sutras. Or seule cette réalisation peut libérer l’homme de toute peur, de toute souffrance, de la violence, du doute. Le chemin pratique ouvert par Patanjali nous sort enfin du monde étriqué de la question et de la réponse car aucune réponse ne nous a jamais satisfaits. Nous recherchons finalement quelque chose de bien plus vivant et de plus puissant qu’une réponse.
La tristesse, la morosité, la culpabilité, les remords, les pleurs, la maladie, la pauvreté, la misère, la mort, la peur et la souffrance ne nous font aucunement progresser vers la réalisation spirituelle. Or dans ce chemin vers la réalisation spirituelle, nous devenons tous fondamentalement divins et le propre du Divin est la joie parfaite.
Même s’ils nous viennent de l’Inde, ces sutras ne font jamais référence aux déités ou aux rites et croyances de cette région du Monde. Ils ont une dimension universelle qui traverse les temps et les civilisations. Ces sutras font néanmoins appels à certains concepts propres à la pensée philosophique et religieuse indienne, tels que Purusha, Prakriti, les Gunas.
Les huit branches ou membres
Les yamas et nyamas sont les deux premiers membres dans le yoga sutra de Patanjali. Cela consiste en une prise de conscience et en une adhésion à certaines qualités et pensées qui peuvent contribuer à améliorer le fonctionnement de notre mental, de nos émotions et de la personne humaine toute entière. Ils sont essentiels et s’insèrent dans la plupart des exercices tant dans leur dimension physique que spirituelle.
Les yamas comprennent :
L’ahimsa (non violence). La non violence guide notre pratique du yoga -Paris-, on doit être conscient de ses limites, ne pas forcer, ne pas se blesser. Les postures (ou asanas) doivent être réalisées dans cette prespective. Et cette communication avec soi-même qui guide nos gestes doit aussi orienter nos actions dans toutes les sphères de la vie.
Intervient ensuite Satya, « l’être vrai ». Il faut avoir une vue impartiale des événements, pour le bien de toutes les créatures.
Vient ensuite l’Asteya ou le non vol qui nous invite à ne pas voler les objets matériels, ou les idées d’autrui, à ne pas divulguer les confidences qui nous sont faites, à discerner ce qui est légitime de ce qui ne l’est pas.
Bramacharya, un moyen d’aller vers une forme de vérité essentielle qui ne soit pas corrompue par des excès en tous genres et qui repose sur une véritable maitrise de soi. le« comportement qui mène au Brahman » (contrôle des sens).
Aparigraha qui inscrit nos comportements dans le respect d’un autre dont on ne tirera aucun profit, une vie libre, sans cupidité. Rester libre de superflu et de possessions (non-possessivité).
Viennent ensuite les Nyamas comme Sauca qui dirige le corps et l’esprit vers une forme de pureté, Santosha qui est la pratique de l’humilité et de la modestie, Tapas qui pour maintenir le corps en bonne santé, impose une discipline du corps, de la parole et de l’esprit, une volonté austère, Svadhyaya qui convoque l’introspection, Isvapranidhama qui suggère une forme de communication avec le divin et donne le sentiment du sacré et de la plénitude.
Les 6 autres branches ou membres sont :
- Asana : être fermement et tranquillement assis, être dans une posture (asana) « stable et agréable »
- Pranayama, ne plus respirer inconsciemment. Patanjali définit la respiration yogique comme étant longue et fluide.
- Pratyahara, le bien-être dans le retrait des sens .
- Dharana, la concentration (une aptitude à soutenir l’attention sans se laisser distraire) sur l’activité du mental, des émotions, de la posture, ou du souffle. Il s’agit de l’écoute subtile des sensations, de la respiration, des pensées qui passent, ou ne passent pas. Par la concentration, on crée un point d’ancrage permettant à la conscience de dompter et de contenir les flux mentaux pour accéder ensuite à la méditation (dhyana). Dhyana, c’est la méditation.
- Pratyahara (retrait des sens) est associée au mental, dhyana (méditation profonde) est associée à la présence à Soi. Les flux mentaux sont éliminés par la conscience fixée en un seul point grâce à la concentration (dharana) préalable.
Samadhi, le but ultime
Il faut parvenir au stade ou nous ne faisons plus qu’un avec l’univers. Un état de paix, et de détachement. C’est l’aptitude à devenir un avec l’objet perçu l’établissement de la conscience, l’état d’unité, l’équanimité. La conscience rejoint l’Absolu. C’est l’état de contemplation profonde.
On comprend donc très bien l’importance des enseignements de Patanjali. Les sutras ont traversé les âges, et même s’ils nous échappent aujourd’hui dans leur dimension sonore dont nous avons vu qu’elle en était constitutive, l’héritage de Patanjali donne encore tout son sens à notre pratique contemporaine du yoga. Cela doit nous inviter à ne pas déconsidérer la part spirituelle du yoga quelle que soit notre approche. La recherche du bien être du corps, que beaucoup de pratiquants viennent chercher dans le yoga, on le voit, est quasi antinomique avec les fondements d’une philosophie qui nous enjoint de mettre un terme à l’expérience du corps humain au profit de l’âme ou du moins d’une entité spirituelle. Le yoga -Paris d’aujourd’hui est l’héritage d’une philosophie qui a traversé les siècles, il s’est adapté à la contemporanéité et nous invite cependant à ne jamais oublier dans chaque posture, chaque respiration, qu’il porte une valeur spirituelle forte. Un art de vivre.
L’article est superbe, complet et très bien écrit ainsi que les explications. Merci. 🙏