Outre la pratique des postures, des exercices de respiration ou de la méditation, le yoga c’est aussi un foisonnant vivier de textes fondateurs tels que les très connus Yoga Sutras de Patanjali, les Védas, les Upanishads, la Haṭha Yoga Pradīpikā ou encore la Bhagavad Gita.
C’est ce dernier texte sacré, les enseignements qu’il transmet ainsi que les versets les plus emblématiques dont il recèle que je vous propose d’étudier dans une série en quatre articles.
1. Bhagavad Gita : introduction
La Bhagavad Gita, qui provient de « gita » « le chant » et de « Bhagavad », « bienheureux » signifie littéralement « le chant du Bienheureux ».
Partie centrale du Mahâbhârata (récit épique rédigé en sanskrit entre le 5e et le 1er siècle av. J.-C. par le poète Vyâsa) la Bhagavad Gita se compose de dix-huit chapitres ou « entretiens » eux-mêmes divisés en sept cents versets que l’on appelle « slokas ».
Ce chant est en réalité un dialogue entre la divinité Krishna (divinité principale associée à la pratique du yoga) et son disciple Arjuna. Ce dernier, en proie à un inextricable dilemme, demande à son maître de lui enseigner le chemin de la félicité :
« Arjuna implore Krishna : instruis-moi. Indique-moi le chemin unique par lequel je pourrai à coup sûr atteindre la félicité » (Chapitre III verset 2)
Le texte expose donc l’enseignement donné à Arjuna par Krishna au sujet de la pratique spirituelle. Le caractère universel des messages transmis en fait l’une des plus importantes écritures sacrées du yoga, de la pensée non duelle (Vedanta), mais aussi de la culture indienne et hindoue.
Le lecteur s’identifie aisément à Arjuna, ainsi qu’à ses interrogations, ses doutes, ses inquiétudes qui sont finalement celles de toute personne qui entreprend un chemin spirituel.
2. Bhagavad Gita : contexte
La Bhagavad Gita se déroule dans le contexte de la guerre entre les Pandavas et les Kauravas, deux familles cousines. Le clan des Kauravas (composé de cent frères – symboles de tous les vices) et celui des Pandavas (composé de cinq frères (dont Arjuna) – symboles des grandes vertus) s’affrontent dans une lutte dynastique pour la conquête du trône de Hastinapur.
Au moment où la bataille doit débuter, Arjuna, prince guerrier, chef de l’armée des Pandavas et inestimable archer, réalise avec effroi que les rangs adverses sont remplis des membres de sa propre famille.
Que faire ? En proie à ce terrible dilemme, Arjuna se tourne vers Krishna (divinité suprême du yoga) qui conduit son char et déclare :
« Arrête mon char au milieu des deux armées. Ô Krishna, lorsque je vois les miens, en ordre de bataille, impatients d’aller au combat, mes membres défaillent, ma bouche se dessèche, mon corps tressaille et mes cheveux se hérissent. Mon arc m’échappe des mains et la peau me brûle. Mes jambes ne peuvent plus me porter et mon esprit s’égare. Maîtres, pères, fils et même grands-pères, oncles maternels, beaux-pères, petits-fils et beaux-frères et tous nos parents, dus-je y perdre la vie, je ne peux envisager des les tuer pour régner sur cette Terre ; je ne saurai m’y résoudre. Comment trouver le bonheur après avoir versé notre propre sang ? » (Chapitre 1 sloka 21 à 37)
Ces quelques vers résument parfaitement l’incipit de l’ouvrage. Arjuna ne sait plus que faire :
- Doit-il faire son devoir et par conséquent conduire l’armée et déclencher la guerre au risque de perdre nombreux de ses proches
- Ou bien doit-il tenter de sauver ses aïeux, mais renoncer à son devoir ?
Incapable de trancher, il s’effondre et implore Krishna de lui donner conseil :
« Mon cœur est accablé de tristesse, mon esprit est troublé. Il ne sait plus où est son devoir. Je t’en supplie [Krishna] indique-moi clairement ce qui est bon pour moi » (Chapitre 2 sloka 7)
En réponse à cette supplication, Krishna accepte d’enseigner à Arjuna les fondements du yoga.
3. Bhagavad Gita : personnages et symboles
Outre la profondeur des propos exposés par les deux protagonistes, la Bhagavad Gita recèle de symboles forts.
Krishna et le char
Krishna est l’une des divinités les plus adorées en Inde. Avatars de Vishnou, il est aisément reconnaissable à sa couleur bleue ainsi qu’aux différents atours qu’il arbore comme la flûte ou la peau de tigre. On le trouve également souvent en compagnie de vaches dont il est le divin gardien.
Dans la Bhagavad Gita, Krishna est aux commandes du char d’Ajurna. Ce char représente le mental. Il est lui-même tiré par cinq chevaux qui symbolisent à leur tour les cinq sens de l’être incarné.
Arjuna l’archer
Arjuna est le troisième de cinq Pandavas, autrement dit le troisième des cinq fils de Pandu. Arjuna est donc le petit frère de Yudishthira et Bhimasena (tous deux également nés du mariage de Pandu avec Kunti) et le grand frère des jumeaux Nakula et Sahadeva (nés de l’union de Pandu à Madri).
Arjuna est un archer hors pair. Le symbole de l’archerie n’est pas anodin puisqu’il est directement lié à la question de la responsabilité de chacun vis-à-vis de ses actions. En effet, l’archer est celui qui se positionne, qui prépare son tir et qui vise la cible à atteindre. L’archer est responsable de son positionnement tout autant que du choix de la cible, mais une fois la flèche partie, il est peine perdue de chercher à rectifier le tir.
Le roi aveugle et son conseiller
Dhritarashtra est le roi des Kauravas. Il est aveugle. Cependant, cette déficience physique doit surtout être comprise au second degré. Dhritarashtra est aveuglé par son ego et sa soif de pouvoir.
Comme il est aveugle, il demande à son conseiller Sanjaya de lui raconter ce qu’il se passe sur le champ de bataille.
Sanjaya, qui pour sa part est clairvoyant, devient donc le narrateur de l’histoire. Il témoigne d’un regard objectif sur les événements. Il est le témoin neutre.
La conversation
En outre, la structure du texte souligne le dessein didactique de l’ouvrage. Il s’agit d’un dialogue philosophique de maître à disciple dans la stricte tradition de l’enseignement originel du yoga.
La bataille
L’action centrale de la Bhagavad Gita se déroule pendant la guerre. Cette belligérance est la métaphore des conflits, des peurs et des doutes qui habitent l’Homme. Par l’intermédiaire des enseignements de Krishna, la Bhagavad Gita expose les différents moyens d’apaiser ces discordes et ces combats intérieurs.
Le champ de bataille symbolise quant à lui l’aspect concret du chemin spirituel. Il ne s’agit pas d’une théorie, mais bel et bien de mettre en pratique les préceptes anciens. La Bhagavad Gita enseigne donc comment être spirituel en pratique et non en théorie. Autrement dit, comment être spirituel sur le champ de bataille et non en ermite retiré. En effet, nous savons tous qu’il est très facile d’être un sage lorsque l’on est seul au sommet de sa montagne déserte. Mais, il en va autrement lorsque l’on est plongé dans la vie quotidienne… ! De ce fait, la Bhagavad Gita est le texte caractéristique du « yoga in situ ».
Maintenant que vous avez en main les clefs principales pour comprendre la Bhagavad Gita, je vous donne rendez-vous dans les prochains articles afin de découvrir les enseignements majeurs dispensés par Krishna à Arjuna ; enseignements qui ne sont autres que les messages fondamentaux du Yoga !
Alexandra Joy,
Septembre 2021.